La récente victoire des livreurs grecs doit nous interroger sur la lutte pour la dignité des conditions de travail des livreurs. Nous proposons ici une réflexion inspirée par ce mouvement ainsi que des solutions pratiques pour faire face aux plateformes qui malgré leurs millions de chiffres d’affaire et leur armée d’avocats restent fragiles.
Contexte
La plateforme de livraison E-Food détient la position de leader dans le domaine de la livraison en Grèce. L’entreprise ,inititialement Kyrkinis Brothers, a été vendue en 2012 à un géant allemand pour la modique somme de 21 millions d’euros.[1] La pandémie, bien loin de toucher l’entreprise, lui a fait atteindre des sommets avec une progression de 21% de son chiffre d’affaires en 2021 pour près de 64 millions d’euros de bénéfices engrangés[2] . L’entreprise présente dans les grandes villes du pays comptait jusqu’à 90 000 clients[3] . Le modèle d’expansion est bien connu, il se base sur une armée de livreurs au statut précaire, dans ce cas des contrats à durée déterminée de trois mois payés au salaire minimum (758,3 €/mois).
La goutte de trop
Le 17 septembre en vue de garder une marge de profit élevée et « d’améliorer la productivité de la flotte », la plateforme a envoyé à 115 de leurs livreurs une notification pour le moins choquante: Ils devaient accepter de devenir indépendant, leur contrat à durée déterminée ne serait plus renouvelé. Stupéfaits par cette décision les livreurs commencent à propager le message sur les réseaux sociaux qui devient rapidement viral. Le mot d’ordre :#cancel_E-FOOD se retrouve rapidement dans le top tendance. La population, alliée aux livreurs, fait pression sur la plateforme avec un procédé vieux comme la lutte le « name and shame ». Les suppressions d’application pleuvent et lorsque la plateforme rend plus difficile la désinstallation c’est la note de la plateforme qui chute de 3.5 à 1.4 étoiles sur le market place.
En plus de la campagne sur les réseaux sociaux, la résistance s’organise dans la rue. Des milliers de livreurs manifestent pour réclamer le droit à un statut juste. Appelant à une grève de 24 heures le mercredi 22 septembre tous les livreurs participent à la mobilisation. De l’avis des observateurs ce fut un mouvement historique tant du point de vue de l’ampleur que de l’adhésion de la population au mouvement. L’inter-syndicale PAME qui organise le soutien solidaire en mobilisant les restaurateurs [4].
Au bout la victoire
Le 23 septembre, la Plateforme e-Food annonçait au bout de deux semaines de mobilisation : « Nous transférons tous les contrats à durée déterminée existants, en embauchant les 2 016 employés d’E-FOOD avec des contrats à durée indéterminée, tout en reconnaissant leur service précédent. Nous conservons les droits étendus et les avantages supplémentaires dont ils bénéficiaient, comme l’assurance privée. »[5].
La mobilisation chez les livreurs continue pour que l’entreprise tienne ses promesses.
Conclusion
Nous pouvons noter plusieurs enseignements de cette mobilisation même si le premier peut paraitre évident: il est bon de se rappeler que seule la lutte paye. Le second enseignement réside dans l’affirmation de la puissance des réseaux sociaux et de la capacité de nuisance qu’a la population car en définitive sans les consommateurs l’entreprise n’est rien. En Belgique tout le monde le sait, les livreurs sont dans une situation de grande précarité. Il ne se passe pas une semaine sans un reportage ou une interview montrant leur situation. C’est pourquoi nous proposons l’hashtag #platformoutlaw et #maketheplateformcompanyrespecttherule afin que tout un chacun puisse nous soutenir dans cette lutte pour un travail digne.
Pour aller plus loin
Moussaoui, R., « Grèce. Au bout de la grève, les livreurs victorieux », L’Humanité, 27 septembre 2021, [En ligne]. <https://www.humanite.fr/grece-au-bout-de-la-greve-les-livreurs-victorieux-721802>.
https://pamehellas.gr/food-delivery-workers-militant-response-to-blackmails-and-threats
https://pamehellas.gr/efood-delivery-workers-have-won
https://pamehellas.gr/pame-statement-solidarity-and-support-with-the-struggle-of-efood-delivery-workers
[1] T. IOANNOU, « Efood Delivery: From Financial Success To Self-Inflicted Disaster », GreekReporter.com, 20 septembre 2021, [En ligne]
[2] ibidem
[3] G. DUNKEL, « Greek delivery workers just got a big win – and they want more », Workers World, 30 septembre 2021, [En ligne]
[5] https://www.workers.org/2021/09/59291/