Au soir des élections législatives du 26 septembre dernier, les sociaux-démocrates arrivent en tête, avec 25,7 % des suffrages, 206 sièges, malgré les scandales financiers de son candidat. La CDU-CSU est en deuxième position (24,1 %, 197 sièges) ; le candidat à la succession de Merkel n’a pas convaincu et son parti observe un recul historique. De longes négociations s’en suivent pour former une majorité. Les libéraux sont préférés à Die Linke. Les socialistes font le choix d’une coalition tricolore excluant l’option d’une coalition de gauche.
Ce 8 décembre, le social-démocrate Olaf Scholz est donc élu chancelier, soutenu par sa coalition. Son slogan de campagne était « un changement dans la continuité » avec Merkel. Et pour cause, il était ministre des finances de la « grande coalition » gauche-droite précédente. Il a défendu bec et ongle les lois Hartz de libéralisation du droit du travail. Pas étonnant dès lors que la révision de ces lois soit la première promesse de campagne abandonnée d’Olaf Scholz.
Contrairement à ce que laissent penser Hidalgo et Jadot, on est bien loin du grand soir.

Une coalition sous le signe de l’austérité
Une grande dose d’orthodoxie, une touche d’écologie et un brin de social sur fond de novlangue sur la « modernisation » de l’action publique. La recette est celle de Macron davantage que de Merkel.
Ce n’est pas un hasard que les libéraux obtiennent, entre autre, le poste clef de ministre des finances. Christian Lindner a déjà annoncé le retour pour 2023 de la règle d’or en Europe, gelée pendant la pandémie afin de permettre quelques investissements publics ô combien vitaux.
« Le ministère des Finances plaidera pour des budgets sains et des règles fiscales au niveau européen. Il visera à rendre le pacte de stabilité et de croissance plus affirmatif. Les membres de la zone euro devront réduire leur niveau d’endettement à 60 % et réduire le déficit annuel à un maximum de 3 % du PIB. Le non-respect des règles devrait entraîner des conséquences automatiques si possible» affirme le porte-parole des Libéraux. Le ton est donné.
Christian Lindner a par ailleurs une pratique du pouvoir à la Macron. L’homme fort de la coalition disait à propos du mouvement Friday for Future que les jeunes feraient mieux d’aller en classe et laisser les professionnels gérer le climat. Il vient également, avec le nouveau chancelier, de se dire favorable à la vaccination obligatoire pour tous contre la Covid-19.
Les moyens pour le climat se concentrent sur des incitations au privé plutôt qu’une planification écologique pilotée par des investissements publics importants. Par ailleurs, l’engagement de sortie du charbon d’ici 2030 reste « en idéal » sic alors que l’Allemagne est le premier pays émetteur de CO2 de l’Union. Cette date butoir, âprement négociée, était la condition sine qua non pour remporter le vote des militants écologistes sur l’accord de coalition.
Sur la question européenne, les points communs avec Macron sont également nombreux.

Le « couple » franco-allemand
La France prend la présidence de l’Union européenne à partir de janvier 2022. La voix de Macron, de concert ou en discorde, avec son homologue allemand pèsera donc doublement.
Or, Emmanuel Macron n’a toujours pas réagi à ce jour aux velléités des libéraux allemands de remettre l’austérité en route en Europe. Bruno Le Maire semble pencher pour une révision du Pacte de Stabilité et de Croissance, dans lequel la règle des 60% d’endettement pourrait disparaître mais pas celle des 3% de déficit. Macron pourrait aussi se montrer ouvert à ce que chaque État ait une catégorie de dépenses ou d’investissements qui sortent du calcul du déficit. En somme, il est probable que Macron prône l’austérité des 3% « et en même temps » un peu de flexibilité. Quoi qu’il en soit, il n’y a pas d’urgence à trancher ce dossier. Le président français peut se montrer ferme contre ce Pacte et ses caractéristiques les plus austères, avant de laisser l’Allemagne gagner le bras de fer, une fois les présidentielles passées…. Après Sarkozy et le traité de Lisbonne, Hollande et le TSCG, il faut espérer maintenant que les Français connaissent la musique.
Contrairement à Angela Merkel, la coalition d’Olaf Scholz dit vouloir activement participer à la Conférence sur l’avenir de l’Europe, promue par Emmanuel Macron. Le contrat de coalition évoque même comme horizon « l’évolution de l’Union européenne vers un État fédéral européen ». En outre, Berlin et Paris vont défendre désormais conjointement la mise en place de « listes transnationales » en plus des européennes de 2024 (eurodéputés élus sur une circonscription unique paneuropéenne en plus du scrutin actuellement en place).
Sur la politique de libre-échange, Macron et Scholz seront, là aussi, sur la même longueur d’ondes. Le nouveau gouvernement soutient l’accord de libre-échange UE- Mercosur tout en indiquant souhaiter de meilleures clauses environnementales et sociales. Macron a également indiqué souhaiter le renégocier…depuis 2019. Aucune proposition concrète n’a été mise sur la table depuis. En tous les cas, la planète ne saurait souffrir quelques renégociations de mots creux pour verdir les tonnes de viandes qui seraient exportées depuis le Brésil. C’est d’un accord fondamentalement différent dont nous avons besoin.
C’est probablement sur la scène internationale que les positions de Macron et de la coalition allemande s’alignent le mieux. Depuis longtemps, Berlin permettait à l’Europe de garder un canal de discussion avec Moscou. C’est fini. La coalition et notamment les Verts prônent une politique agressive. En témoigne notamment les dernières actualités autour du très controversé gazoduc Nord Stream 2. La nouvelle ministre des Affaires étrangères Annalena Baerbock tente d’empêcher le gazoduc reliant la Russie à l’Allemagne. La France et les autres États-Membres sont divisés. Renoncer au gazoduc pourrait avoir des conséquences sur les prix du gaz en Europe qui, depuis plusieurs mois, subissent déjà une envolée historique. Moscou fournit déjà 40 % de ses besoins en gaz.
Enfin, l’OTAN est réaffirmé comme un pilier de la défense européenne. Et le SPD et les Verts ont finalement accepté le principe d’armement des drones. Cette décision marque un tournant historique. Ces drones armés sont la clé de la défense européenne et de son futur Système aérien de combat du futur (SCAF).
Il y a tout de même des engagements à saluer dans cet accord de coalition, en particulier sur la hausse du SMIC de 25% (porté à 12 euros), le droit de vote à 16 ans et la légalisation du cannabis. Il n’en reste pas moins qu’il contient beaucoup de novlangue sur la modernisation, la numérisation et l’innovation et peu de d’engagements précis ou objectifs concrets. La coalition sans socle programmatique commun n’est jamais de bon augure.
A bon entendeur.